lundi 23 mars 2009

The almighty DC

Washington DC sera finalement la ville dans laquelle j’aurai passé le plus de temps aux US. Une bonne grippe après l’Investiture m’aura fait annuler un week-end ski à Boston. Mais je n’ai au final aucuns regrets car DC exige du temps pour se laisser amadouer. Au premier abord, la Capitale Fédérale parait froide et sans aucune âme. Les bars se comptent sur les doigts d’une main dans Down Town (le centre). La majorité des personnes qui l’habitent travaille pour l’Etat ou pour des organisations internationales (FMI, Banque Mondiale, etc.) et n’y reste qu’un temps court.

Grâce à mes amis Jamison, Liviane et Lopaka, j’ai découvert que derrière son architecture grisonnante et glacée, la ville regorge d’activités et de coins improbables. Le National Mall bien sûr, ses temples à la gloire des Pères Fondateurs, ses lacs, ses promenades et surtout tous les musées gratuits du Smithsonian Institute qui le longent. Les environs de DC sont également à voir et revoir. La promenade à Hapers Ferry (les champs de bataille de la guerre civile en West Virginie) avec Liviane et Lopaka restera un super souvenir. Je volerai d’ailleurs le post de Liv à ce sujet : Harpers Ferry.

Un immense merci à Jamison, grâce à qui j’ai pu découvrir la banlieue de DC et la mignonne ville d’Ellicott city. Jay Jay aura été un hôte parfait, aux petits soins. La balade de Baltimore était mémorable. A mon retour, on testera les bars de nuit après avoir assisté, avec Matt, à une magnifique victoire des Ravens. Et cette fois, on n’attendra pas quatre ans. Promis !

Merci également à Liviane. De tout le temps que l’on a passé ensemble, je retiendrai notre promenade du premier janvier dans son quartier, H Street. Une blanche parmi les Blacks. Situé dans le Nord Est de la ville, il est paraît-il dangereux. Légende urbaine. Cette matinée ensoleillée aura été une bouffée d’oxygène avant mon grand départ pour le Sud. Je repense au vieux clochard noir qui avait un crochet à la place de la main gauche. Avec son Happy New Year, il nous avait offert un gospel et un beau sourire édenté. Parce qu’il nous trouvait jolies. Je n’oublierai pas non plus l’investiture et sa première propriétaire…

Notre meilleur moment à tous les trois : évidemment le réveillon. Inoubliable.

Avec Lopaka, ce sera ces quelques heures passée à la National Portrait Gallery, à côté de la bibliothèque Martin Luther King. Un soir après le boulot. Les salles d’expositions entourent un atrium qui laisse passer l’incroyable lumière de DC. Et là, le wifi est gratuit ! Parfait endroit pour étudier, écrire, se cultiver. En paix. Lopaka y a rédigé sa thèse de Masters. Je le comprends. Le dernier tableau à avoir intégré la collection permanente ? Le visage du tout nouveau président américain. Hope de Shepard Fairey. Grâce à mon ami hawaïen, j’ai également découvert l’Ouest de DC. George Town, le fameux, où Lopaka travaille pour l’ONG Rights and Ressources et où j’ai passé toute une journée à écrire à la bibliothèque de l’Université. Et admirer le soleil couchant sur le Potomac.

Notre meilleur moment à tous les quatre : ce diner dans cet exquis restaurant éthiopien, suivi de quelques heures dans un bar douteux où l’on a bu, paraît-il, les pires bières d’Amérique. Les plus cheap. On y a choisi notre musique en glissant des billets de $1 dans le méga jukebox. On y a joué à "Odd and Even". Et l’on y a réalisé la plus parfaite vidéo sur l’amitié.

Merci. Thank You. Aloha.

samedi 21 mars 2009

Vivre l'Histoire

Huit ans qu’ils attendaient ça. Le retour d’un Démocrate à la Maison Blanche. Deux cent ans qu’ils attendaient ça. L’accession d’un noir à la fonction suprême. D’un homme de couleur du moins. L’investiture de Barack Hussein Obama ne peut laisser indifférent. Elle est de toute façon historique. La preuve que tout est possible. Sera-il meilleur que les autres ? Changera-t-il les pratiques politiciennes de Washington ? Rendra-t-il ses couleurs flamboyantes à l’Amérique ? Ecoutera-t-il les voix des autres pays ? Résoudra-t-il la crise économique ? Là n’est pas la question. Ce jour, c’est le sien. Celui de son investiture. La politique, c’est pour demain.


Réveil matinal chez Liviane, mais bien moins que pour d’autres. Il est 7h30 et déjà Washington bouillonne. Le bus nous lâche dans China Town. La foule est au bord de l’excitation. Pour la première fois de ma vie, je me sens vraiment en minorité. Ceux qui se sont levés tôt, ce sont ceux de l’Amérique d’en bas. Ceux dont la voix n’avait jamais été représentée à un poste aussi important. Déjà, la veille dans le Greyhound qui me ramenait vers Washington, l’on sentait l’attente incroyable des Noirs américains. Ma voisine, persuadée que Obama l’emporterait, économisait depuis des mois pour se payer le voyage. Elle n’avait jamais quitté sa petite bourgade près de Chicago. A l’arrivée dans la capitale fédérale, le chauffeur avait pris le micro et demandé qui venait pour l’Inauguration. Le bus entier avait levé la main en poussant des cris des joies. Yes We Can.



China Town n’a plus rien de chinois. Le Black Power a pris possession des lieux. Des stands de t-shirt, chaufferettes, casquettes, badges, drapeaux et autres souvenirs toujours plus farfelus se succèdent. Et partout des sourires, des rires. Ils se tapent dans les mains, ils s’embrassent. Le sentiment que jamais ils n’ont été aussi fiers d’être américains. Et la foule, toujours la foule. Elle grossit, ondule, se déplace. Les espaces se resserrent. Tous marchent dans la même direction : le National Mall et le Congrès. Le secteur est encadré par d’immenses grilles. Pour ceux qui ont des billets, ils peuvent s’installer dans les files d’attente aux points de passage. Pour ceux qui n’ont pas le précieux sésame, il faut descendre plusieurs kilomètres, pratiquement jusqu’au Lincoln Memorial pour faire le tour. Pas d’énervement. Tout le monde passera à temps. La police est quasi au chômage. Les lignes jaunes sont respectées. Les queues bien démarquées. En France, ce serait un joyeux bordel.


Avec Liviane, on voulait trouver un bar, une église, une communauté pour regarder autrement la cérémonie. Voir comment les gens la voient. Mais aujourd'hui, tous veulent la vivre depuis l’herbe du Mall. Même s’ils ne verront pas Obama plus grand qu’un grain de riz, voire pas du tout, ils veulent y être. LA, sur ce Mall où reposent les statues des Pères Fondateurs. On abandonne l’idée du autrement. Tout est fermé. Et l’on fait comme eux. Le Mall en point de mire. On marche. Beaucoup. Le temps défile de plus en plus rapidement. Stress de manquer le début. Enfin, on arrive tout au bout du Mall, juste avant la piscine devant Lincoln et nos pas foulent l’herbe sacrée. Nous suivons la foule et devant nous se dressent deux immenses écrans. A quelques trois cent mètres du Washington Monument. L’on n’aperçoit même pas la pointe du dôme du Congrès. Il se cache derrière la butte de leur « Concorde ». Les gens arrivent, s’amassent. Devant nous. Derrière nous. Plus tard, on apprendra qu’on était deux millions.




Sur les écrans, les personnalités invitées défilent et s’installent. La Clinton family. Bill, Hillary, Chelsea. Dick Cheyney, le faucon. Puis "l’ex-dans-quelques-minutes". GWB et sa femme. Certains huent, d’autres méprisent en silence. Je hue. Barack, Michelle, Sasha et Maliya sortent enfin de la pénombre. D’une seule voix le Mall se met à hurler. Obama ! Obama ! Yes We Can ! Yes We Can ! Difficile de prendre du recul. Le même sentiment qui anime cette foule et qui la pousse à supporter cet homme m’envahie. Moi qui me voulait simple observatrice, voir ce que les gens voient, je tombe de plein pied dans le parti pris. Ce sont bien mes yeux qui regardent, pas les leurs. C’est bien ma voix qui s’échappe de ma gorge, pas la leur. Au diable la distanciation ! Au placard la journaliste ! Je suis aussi une citoyenne du monde ! Et là, je vis l’Histoire ! Et je suis contaminée. La chair de poule. Je revois dans ma tête les images de Laurence Haïm* rougissante car saluée par un futur président hyper enjoué un matin de campagne. Elle aussi, comme tous les journalistes qui ont suivi Obama depuis un an, a eu du mal à garder cette distance imposée par notre métier.


Tout le monde est à sa place, the Inauguration peut démarrer. La première à s’exprimer est la maîtresse de cérémonie : Dianne Feinstein, Sénatrice responsable du comité d’organisation. Son discours donne le ton. En préambule, elle s’en prend ouvertement à l’administration Bush. La foule est aux anges. Gros plan sur George. Il doit se sentir riquiqui dans ses chaussures. Puis, un pasteur prend place au micro. Le Révérent Joseph Lowery. L’homme de dieu prononce un sermon œcuménique qui met la foule en transe. Croyants, comme non croyants. Une investiture sous la protection du Très Haut. Le fameux mixe entre politique et religion, spiritualité devrais-je dire. Une Diva, LA DIVA, s’approche du pupitre à petits pas. Aretha Franklin. Je n’arrive pas à y croire. Jamais je n’aurai imaginé pouvoir assister à une de ses performances en live. Ma première pensée va à ma sœur Armelle, sa plus grande fan. La voix puissante et suave de la plus grande chanteuse américaine se répand avec douceur sur le Mall. My Country Tis of Thee. Moment hyper émouvant. Radieuse, Aretha quitte la scène avec humilité. Joe Biden à son tour monte à la tribune. Il sera le premier à prêter serment sur la bible. A ses côtés, son épouse. Avant le moment le plus attendu, un quator international fait patienter le public : Gabriela Monterro, pianiste, Itzhak Perlman, violoniste, Anthony McGill, clarinettiste et le très attendu Yo Yo Ma, violoncelliste. Air and simple gifts arrangé pour l’occasion par John Williams, compositeur de la bande original de Star Wars.

Enfin, c’est au tour de Barack Obama de quitter son costume de Sénateur et Président-élu, pour prendre pleinement possession de la Maison Blanche. Le Ministre de la Justice, John Roberts, tient la bible et prononce les fameux mots. I Barack Hussein Obama…. La foule retient son souffle. Mes doigts tremblent sur ma petite caméra. Ce n’est pas le froid. Ce ne sont pas les -15°C qui frappent le Mall. Je suis simplement saisie par l’importance du moment. La séquence qui ne dure que trente petites secondes s’installe pour l’éternité.




Lui qui s’est toujours montré sur de lui aurait-il hésité ? On n’apprendra par la suite que c’était le Ministre de la Justice qui était ému ce jour-là et qui aurait inversé deux mots pouvant invalider le serment du Président. La foule ne lui en tient pas rigueur. Enfin, enfin les années Bush sont derrière eux. Enfin, enfin les années Bush sont derrière nous. Les gens se prennent dans les bras. Ils s’embrassent. Ils pleurent. Ils crient de joie. On crie avec eux. Méga chair de poule ! Nos voisins nous félicitent d’avoir fait le chemin jusqu’ici. Non merci à eux de l’avoir choisi lui.

Et Obama se présente à son peuple pour son premier discours de président assermenté. Dix-huit minutes intenses qui ne s’adressent pas qu’à la nation américaine mais au monde entier. Charismatique. Comme à son habitude.

Difficile de réaliser ce qu’il vient de se passer. Il nous faut nous dégourdir nos jambes endormies. Le froid nous a littéralement attaqué. Mes orteils sont aux abonnés absents. On sautille vers le Washington Monument, comme eux tous. Une belle mama africaine est en tenue traditionnelle. Elle irradie dans sa parure turquoise. L’on remarque des pancartes étranges. Des fanatiques de Jésus se sont donnés rendez-vous pour rappeler aux pécheurs leurs devoirs envers le Christ. Malades. On ne voit ça qu’ici. Des prisonniers factices rappellent à Obama ses déclarations sur Guantanamo. Immanquables dans leurs tenues orange. Leur visage est couvert par un tissu noir. Des caméras. Des journalistes pour qui la journée est loin d’être terminée. On est au pied de la colonne. De là, le Congrès paraît tout petit. On prend la pause et on observe. Au loin des gens dansent. Les tribunes qui entouraient le pupitre se vident. C’est l’heure de la parade. Le Président et sa famille vont fouler les rues de Washington, à pied, devant leur peuple. Sans gilet pare-balles. Puis ce sera l’heure des bals. Et demain, il s’y mettra. Enfin.


* Correspondante permanente de Canal + à Washington. Elle a suivi la campagne et les élections présidentielles pour tout le groupe Canal. Après la cérémonie d’investiture, Laurence Haïm et d’autres journalistes français seront interviewés par les caméras de + Clair. Ils exprimeront avec émotion la fin d’une ère, la couverture de la campagne. Laurence Haïm versera même quelques larmes et parlera d’une histoire qui se termine.

« Toledo ? What for ? »

« Toledo ? What for ? » Voilà ce que me demandent toutes les personnes que je rencontre pendant ce mois de voyage aux US. Difficile de croire que cette ville industrielle et endormie de l’Ohio mérite un stop. Quand je précise Bowling Green, petite college-town, mes interlocuteurs ne comprennent toujours pas. Pourtant c’est simple : MEGAN ! Ma chère coloc’ américaine de Keele, encore et toujours cette fameuse université anglaise où j’ai passé ma dernière année d’étude.

A Bowling Green, il y a donc Megan, la famille de Megan, John le fiancé de Megan, Jack le chien de Megan, et tous les amis de Megan. Busy weekend en perspective. Comme pour tous les autres Keelers dont j’ai croisé la route aux US, les retrouvailles sont géniales, intenses, « comme si on s’était quitté la veille ».

Mon arrivée tardive a quelque peu modifié les plans. L’on file rapidement au resto où l’on retrouve la maman et la sœur de Megan pour un premier diner famille. Je connaissais Katelyn qui avait rendu visite à sa sœur en Angleterre. C’est un vrai plaisir de rencontrer leur maman. Les photos s’animent enfin. Après le diner, visite by night de la rue de principale de Bowling Green et accessoirement de quelques bars. On se remémore nos souvenirs keeliens. Quelques bières et le courant passe vraiment bien avec le gentil John. Megs est entre de bonnes mains.


Prof et assistante sociale à Fosteria

Samedi matin, Megs m’emmène visiter l’école dans laquelle elle enseigne. C’est génial de découvrir les chemins que tous les Keelers ont pris depuis l’université. Mon ex-coloc’ américaine est institutrice en CP à Fosteria, que l’on définirait en France comme un quartier difficile. Bien plus qu’une simple prof, elle s’auto-confère un rôle d’assistante sociale. Situations familiales difficiles, parfois extrêmes. Chômage, violences, faim, manque d’argent. A six ans à peine, les enfants prennent en pleine face la réalité du monde des adultes. Chose positive, ils ont confiance en leur maîtresse et souvent se confient. Chaque matin, les élèves arrivent une heure en avance car Megs leur prépare un petit déjeuner, ce que leurs parents ne peuvent leur offrir. Chaque matin, Megs, elle, quitte son appart à cinq heure pour préparer ce petit déjeuner.

Sur la route, nous passons tout un quartier de mobile homes. Une bonne partie des élèves de Megan vit ici. Les camping-cars sont ensevelis par la neige. Leurs habitants doivent crever de froid.





L’école est vide ce samedi matin. Nous serons tranquilles pour la visite. Un seul pied dans la classe et j’imagine le sentiment de soulagement des enfants. Partout des couleurs flamboyantes, des gommettes, des encouragements, des autocollants, des dessins, des phrases objectifs, des livres, des stylos, des ordinateurs. Le tout à leur hauteur. La classe dont j’ai toujours rêvé. On s’y sent bien et en sécurité. A la place du tableau noir, un grand cadre couvert d’un plastique blanc brillant. Je m’interroge et Megan me fait une démonstration. C’est le méga-giga-topissime Smart-Board. Explication en images :



Etre situé dans un quartier difficile a finalement un côté positif : bénéficier de davantage de subventions que les autres établissement scolaires. Avec les fonds reçu, l’école primaire de Fosteria a investi dans un équipement pédagogique moderne et flambant neuf.



Speak Free

Sur le chemin du retour, nous faisons un crochet par l’Université. Ce qui nous y attire : le free speech circle. En plein cœur de l’université Bowling Green, des bancs en demi-cercle autour d’un arbre. A l’intérieur du cercle, chacun est libre de dire ce qu’il souhaite, le bon comme le mauvais. Personne ne peut l’en empêcher. Personne ne peut le contredire. C’est le droit le plus strict du speaker. Megan m’explique que souvent des amoureux déclare leur flamme ; des religieux, du simple pratiquant au plus extrémiste, récitent les versets de leur livre saint ; des militants politiques soutiennent leurs partis ou leurs causes. La démocratie américaine à l’état pur.


In Vino Veritas

Notre première partie de soirée, nous la passons chez le Papa de Megan. M. Johnson nous accueille avec sa femme Jill le sourire jusqu’aux oreilles. Katelyn, son mari, Aron, et leur bébé, Bradley, sont également conviés. Diner famille, ça faisait longtemps ! Ca parle fort, ça bouge, ça rit, comme à la maison. M. Johnson ouvre une excellentissime bouteille. Un rouge californien. Mes amis bordelais me tueraient… Apéro, dîner, on se régale. Mes hôtes sont d’une gentillesse extrême. Après le repas, M. Johnson prend sa guitare et pousse la chansonnette. Fier de sa réussite, il me fait visiter sa belle maison et me présente également les quelques tableaux et œuvres d’art qui la décorent. Une petite discussion politique passionnée clôt cette première partie de soirée parfaite. Je dîne chez des Républicains (hormis Megan), je me situe chez les Démocrates. Une nouvelle fois, j’apprécie l’ouverture d’esprit des américains et leur acceptation de la discussion (du moins en cercle privé). Le bon vin fait parler, le mauvais fait gueuler.


Back at the Union

La soirée est à nous. Direction le bar à la mode où des copains de lycée de Megan donnent un concert. Les Empire Drift. Comme à chaque fois, je… on doit, montrer notre carte d’identité. Ce maudit âge légal. Moins de 21 ans, tu peux porter une arme, tu peux conduire, mais tu n’as pas le droit de consommer d’alcool. Et puis, j’ai juste 6 ans de plus que la limite fatidique… Megan me rassure en me disant qu’ils contrôlent même les vieux ! L’endroit est plein à craquer. Les musiciens sont déjà en pleine performance. Les filles sont au premier rang. Les mains occupées par des bocaux à poisson remplis de liquide coloré. Trois copines de Megs et John se joignent à nous pour la fiesta. J’ai l’impression de faire un bond de quatre ans en arrière quand on faisait les folles à l’Union. C’est complètement délirant. Un bocal coloré échoue dans mes mains. On danse, on chante, on rigole. Comme des groupies. Ils jouent Somebody told me… Je suis amoureuse ! A la pause du groupe, j’ai même droit à une discussion avec leur chanteur et leadeur. Megan a arrangé le coup. Je la vois se marrer. De vraies ados. J’accepterai juste la photo et un CD. Les musiciens reprennent. La fête se poursuit jusqu’à la fermeture… à 2 heures. Une des meilleures soirées passées aux US. La fiesta, la vraie, comme du temps des Keelers.


Dimanche tranquille

Samedi, c’était côté Megan. Dimanche, je découvre la famille de John. Une bonne heure de route nous permet de récupérer un peu plus la soirée la veille. Chez John, c’est à la cool. Pas de chaussures, tu te serres, tu fais comme chez toi, pas de chichi. Sa maman récupère notre linge sale et prépare nos machines pendant que le déjeuner mijote. L’odeur éveille nos appétits. Le frère, la belle sœur de John et leurs deux enfants sonnent et l’on se met à table. Un délice. Le beau-père raconte des blagues que je ne comprends qu’une fois sur deux tant son accent est fort. Ca fait rire tout le monde, c’est le principal. L’après-midi passe tranquillement. Comme un lendemain de fête. Pas de prise de tête.

Déjà, il est temps de quitter mes amis de l’Ohio. Dans deux jours, le Président-élu Obama prononcera son discours d’investiture. Washington m’attend donc. Rendez-vous est pris de toute façon pour 2010. Je serai de retour en juin dans l’Ohio. Pour le mariage de Megan et John. Et après un pareil weekend, qu’on ne me dise plus « Toledo ? What for ? » !

Skyline à l’horizontale et à la verticale

Ma deuxième journée dans Chicago ressemble en quelque sorte à la première… frigorifique ! A une exception près : le soleil est cette fois-ci de la partie. Tôt, Tim me dépose à quelque pas de la maison du Président-élu Obama, en plein cœur du campus de l’Université de Chicago. Devant la maison, une voiture de police veille. Photo pour la postérité. Ce matin, je suis seule. Bientôt des milliers de touristes m’imiteront.




Je poursuis mon chemin vers le musée d’Histoire Naturelle à l’extrémité sud du campus. De-là, je rejoins le point d’où la vue sur la skyline est, paraît-il, la plus incroyable. Mes pas s’enfoncent littéralement dans la neige à mesure que je me rapproche du lac Michigan. Je rate le chemin… jusqu’au genou ! Le temps est juste hallucinant. Le ciel bleu marine. L’éclat de la neige accroche les yeux. Le soleil se lève encore. Et surtout, le lac Michigan paraît se décongeler. Partout, des nuages de fumée s’échappent de l’eau givrée. Vision sibérienne.



J’arrive tout près de la petite chapelle où aux beaux jours de nombreux amoureux célèbrent leur union. C’est derrière le petit édifice que la vue m’attend. Le vent se lève, ou plutôt je pénètre dans le courant d’air. Mes mains sont gelées, déjà. Mes pieds recroquevillés dans mes chaussures. Je me tape les bras et les cuisses pour faire circuler mon sang. Cette vue se mérite ! Enfin, devant moi, la fameuse skyline. Lointaine, mais magnifique, incroyable. Je tente une vidéo, les mots refusent de s’articuler. Mon visage est lui aussi engourdi. Une dizaine de photos et mes piles rendent l’âme, encore. Avec le vent, les -40°C ne sont pas loin. J’admire le paysage autant que mon corps le supporte. Skyline à l’horizontale, c’est fait. Allons voir à la verticale !



Un bus me récupère à quelques blocks et je file vers la Sears Tower. L’entrée des touristes se fait sur le côté, loin de la fourmilière des travailleurs quotidiens. Ma carte de presse m’offre l’entrée vers la montée infernale : 109 étages, le deuxième (ou troisième, selon les antennes) building le plus haut du monde. Le trajet du premier ascenseur dure une minute et quinze secondes, j’ai compté dans ma tête. On ne sent rien, à part l’air qui se réchauffe. La clim’ d’hiver est à bloc. Je me dessape. L’écharpe, les deux paires de gants, le bonnet, les deux couches de manteau. J’ai perdu quelques kilos ! Au 90ème étage, on pénètre dans un deuxième ascenseur pour compléter la montée. Arrivée au 109ème étage (sur 110),la vue donne des vertiges. IMPRESSIONNANT. J’ai bien fait d’attendre cette deuxième journée de visite pour grimper, ça ne pouvait pas être plus dégagé ! Je revisite la ville depuis la Sears. Les quartiers Nord, Est, Sud, Ouest, le Loop. La tour surplombe tous les buildings devant lesquels je suis passée hier. De-là, on dirait un jeu de Lego, ridiculement minuscule. Dix fois je fais le tour de la vue à 360° et je ne m’en lasse toujours pas. Mon ventre, lui, s’impatiente et me donne le signal pour la descente.

La veille, Tim et Sarah m’ont fait déguster la Deep Dish Pizza ; une pizza de presque dix centimètre de profondeur et à la pâte croustillante, un régal. Pour mon déj, je prévois une autre spécialité de Chicago : le fameux Italian sandwich. C’est Mr. Beef, le resto original, qui s’en charge. Le décor n’a pas changé depuis son ouverture. On se croirait dans les années Grease. Je commande mon sandwich : un bon morceau de baguette remplie de fines lamelles de bœuf, un peu de fromage, le tout trempé dans le jus de cuisson de la viande. Conseil : prévoir un bon paquet de serviettes en papier… Comme prévu, je m’en mets partout et je me régale. Après ce délicieux carnage, pause « wifi gratuit » et Skype sous les yeux ahuris de mes compagnons de déjeuner. La famille va bien.

Objectif de l’après-midi : me perdre jusqu’au Cloud Gate de Anish Kapoor, la fameuse sculpture argenté et brillante en forme de haricot, surnommé le Bean, posée sur la promenade du Millenium Park, entre le lac et le Loop. Je remonte l’avenue Michigan, les Champs Elysées de Chicago. Quelques boutiques de luxes, quelques signes sur les trottoirs « attention au chute de stalactites », pas grand monde sur l’avenue, pas grand chose des Champs pour être honnête. La rivière approche et je suis attirée par un bâtiment style gothique sur le trottoir de gauche. C’est celui de la Chicago Tribune, un des Quality Papers américain. Evidemment, je dois y rentrer. Le lobby est génial, à la gloire des journalistes et grands penseurs du passé. Des citations des plus illustres écrivains sont gravées sur les murs de pierre.


“Give me but the Liberty of the press and I will give to the minister a venal house of peers, I will give him a corrupt and service house of commons, I will give him the full swing of the patronage of office, I will give him the whole host of the ministerial influence, I will give him the all the power that place can confer upon him to purchase up submission and overawe resistance; and yet, armed with the liberty of the press, I will go forth to meet him undismayed, I will attack the mighty fabric of that mightier engine, I will shake down from its heights corruption and burry it beneath the ruins of the abuses it was meant to shelter.”

Richard Brinsley Sheridan (Irlandais, écrivain de théâtre et homme politique)

Puissant.

Derrières les vigiles de l’entrée, une immense carte en relief de l’Amérique du Nord. La lumière tamisée confère au lieu un caractère quasi spirituel. Ma carte de presse s’émeut dans son portefeuille.


Dehors entre le bâtiment et la rivière, une place où je retrouve les fameux fermiers de l’American Gothic. En taille XXXL. Droits et fiers, ils ont le même regard que dans le tableau. Le couple resplendi au pied des immeubles.


La nuit commence à tomber, il me reste tout juste le temps d’aller découvrir le haricot avant la pénombre. Le soleil disparaît derrière les blocs de métal et de verre. Les buildings s’auréolent. Le froid est de retour. La masse argentée est à l’horizon, encore quelques marches à grimper. J’aperçois mon reflet dans la couche argentée de la fève géante. Plus je m’approche, plus il se précise. De la neige est restée collée sur le haricot, on dirait qu’elle redessine la carte du monde. Après la Sears, c’est grâce au Bean que je revisite Chicago tant les buildings alentours se reflètent parfaitement. Deux amoureux grimaçants s’amusent à se prendre en photo. Je les imite. Pendant une bonne demi-heure, j’aurai à peine dix ans.


Une minute de plus et je frôlais l’hypothermie. Time to get back et surtout de dire au revoir à Chicago. Comment imaginer qu’une sculpture aussi obèse, étrange, grotesque ou tout simplement géniale puisse autant amuser et attirer l’attention au point de devenir le symbole de toute une ville ? Moderne dans ses moindres arrondis, posée au milieu de bâtiments centenaires et d’autres beaucoup plus jeunes, à deux pas d’un des musées les plus importants des Etats-Unis. Ailleurs, ce serait hideux. Ici, c’est harmonieux. C’est ça Chicago, le mélange entre le nouveau et le vieux. Qu’importe l’âge. Seul le génie compte.