Ma deuxième journée dans Chicago ressemble en quelque sorte à la première… frigorifique ! A une exception près : le soleil est cette fois-ci de la partie. Tôt, Tim me dépose à quelque pas de la maison du Président-élu Obama, en plein cœur du campus de l’Université de Chicago. Devant la maison, une voiture de police veille. Photo pour la postérité. Ce matin, je suis seule. Bientôt des milliers de touristes m’imiteront.
Je poursuis mon chemin vers le musée d’Histoire Naturelle à l’extrémité sud du campus. De-là, je rejoins le point d’où la vue sur la skyline est, paraît-il, la plus incroyable. Mes pas s’enfoncent littéralement dans la neige à mesure que je me rapproche du lac Michigan. Je rate le chemin… jusqu’au genou ! Le temps est juste hallucinant. Le ciel bleu marine. L’éclat de la neige accroche les yeux. Le soleil se lève encore. Et surtout, le lac Michigan paraît se décongeler. Partout, des nuages de fumée s’échappent de l’eau givrée. Vision sibérienne.
J’arrive tout près de la petite chapelle où aux beaux jours de nombreux amoureux célèbrent leur union. C’est derrière le petit édifice que la vue m’attend. Le vent se lève, ou plutôt je pénètre dans le courant d’air. Mes mains sont gelées, déjà. Mes pieds recroquevillés dans mes chaussures. Je me tape les bras et les cuisses pour faire circuler mon sang. Cette vue se mérite ! Enfin, devant moi, la fameuse skyline. Lointaine, mais magnifique, incroyable. Je tente une vidéo, les mots refusent de s’articuler. Mon visage est lui aussi engourdi. Une dizaine de photos et mes piles rendent l’âme, encore. Avec le vent, les -40°C ne sont pas loin. J’admire le paysage autant que mon corps le supporte. Skyline à l’horizontale, c’est fait. Allons voir à la verticale !
Un bus me récupère à quelques blocks et je file vers la Sears Tower. L’entrée des touristes se fait sur le côté, loin de la fourmilière des travailleurs quotidiens. Ma carte de presse m’offre l’entrée vers la montée infernale : 109 étages, le deuxième (ou troisième, selon les antennes) building le plus haut du monde. Le trajet du premier ascenseur dure une minute et quinze secondes, j’ai compté dans ma tête. On ne sent rien, à part l’air qui se réchauffe. La clim’ d’hiver est à bloc. Je me dessape. L’écharpe, les deux paires de gants, le bonnet, les deux couches de manteau. J’ai perdu quelques kilos ! Au 90ème étage, on pénètre dans un deuxième ascenseur pour compléter la montée. Arrivée au 109ème étage (sur 110),la vue donne des vertiges. IMPRESSIONNANT. J’ai bien fait d’attendre cette deuxième journée de visite pour grimper, ça ne pouvait pas être plus dégagé ! Je revisite la ville depuis la Sears. Les quartiers Nord, Est, Sud, Ouest, le Loop. La tour surplombe tous les buildings devant lesquels je suis passée hier. De-là, on dirait un jeu de Lego, ridiculement minuscule. Dix fois je fais le tour de la vue à 360° et je ne m’en lasse toujours pas. Mon ventre, lui, s’impatiente et me donne le signal pour la descente.
La veille, Tim et Sarah m’ont fait déguster la Deep Dish Pizza ; une pizza de presque dix centimètre de profondeur et à la pâte croustillante, un régal. Pour mon déj, je prévois une autre spécialité de Chicago : le fameux Italian sandwich. C’est Mr. Beef, le resto original, qui s’en charge. Le décor n’a pas changé depuis son ouverture. On se croirait dans les années Grease. Je commande mon sandwich : un bon morceau de baguette remplie de fines lamelles de bœuf, un peu de fromage, le tout trempé dans le jus de cuisson de la viande. Conseil : prévoir un bon paquet de serviettes en papier… Comme prévu, je m’en mets partout et je me régale. Après ce délicieux carnage, pause « wifi gratuit » et Skype sous les yeux ahuris de mes compagnons de déjeuner. La famille va bien.
Objectif de l’après-midi : me perdre jusqu’au Cloud Gate de Anish Kapoor, la fameuse sculpture argenté et brillante en forme de haricot, surnommé le Bean, posée sur la promenade du Millenium Park, entre le lac et le Loop. Je remonte l’avenue Michigan, les Champs Elysées de Chicago. Quelques boutiques de luxes, quelques signes sur les trottoirs « attention au chute de stalactites », pas grand monde sur l’avenue, pas grand chose des Champs pour être honnête. La rivière approche et je suis attirée par un bâtiment style gothique sur le trottoir de gauche. C’est celui de la Chicago Tribune, un des Quality Papers américain. Evidemment, je dois y rentrer. Le lobby est génial, à la gloire des journalistes et grands penseurs du passé. Des citations des plus illustres écrivains sont gravées sur les murs de pierre.
“Give me but the Liberty of the press and I will give to the minister a venal house of peers, I will give him a corrupt and service house of commons, I will give him the full swing of the patronage of office, I will give him the whole host of the ministerial influence, I will give him the all the power that place can confer upon him to purchase up submission and overawe resistance; and yet, armed with the liberty of the press, I will go forth to meet him undismayed, I will attack the mighty fabric of that mightier engine, I will shake down from its heights corruption and burry it beneath the ruins of the abuses it was meant to shelter.”
Richard Brinsley Sheridan (Irlandais, écrivain de théâtre et homme politique)
Puissant.
Derrières les vigiles de l’entrée, une immense carte en relief de l’Amérique du Nord. La lumière tamisée confère au lieu un caractère quasi spirituel. Ma carte de presse s’émeut dans son portefeuille.
Dehors entre le bâtiment et la rivière, une place où je retrouve les fameux fermiers de l’American Gothic. En taille XXXL. Droits et fiers, ils ont le même regard que dans le tableau. Le couple resplendi au pied des immeubles.
La nuit commence à tomber, il me reste tout juste le temps d’aller découvrir le haricot avant la pénombre. Le soleil disparaît derrière les blocs de métal et de verre. Les buildings s’auréolent. Le froid est de retour. La masse argentée est à l’horizon, encore quelques marches à grimper. J’aperçois mon reflet dans la couche argentée de la fève géante. Plus je m’approche, plus il se précise. De la neige est restée collée sur le haricot, on dirait qu’elle redessine la carte du monde. Après la Sears, c’est grâce au Bean que je revisite Chicago tant les buildings alentours se reflètent parfaitement. Deux amoureux grimaçants s’amusent à se prendre en photo. Je les imite. Pendant une bonne demi-heure, j’aurai à peine dix ans.
Une minute de plus et je frôlais l’hypothermie. Time to get back et surtout de dire au revoir à Chicago. Comment imaginer qu’une sculpture aussi obèse, étrange, grotesque ou tout simplement géniale puisse autant amuser et attirer l’attention au point de devenir le symbole de toute une ville ? Moderne dans ses moindres arrondis, posée au milieu de bâtiments centenaires et d’autres beaucoup plus jeunes, à deux pas d’un des musées les plus importants des Etats-Unis. Ailleurs, ce serait hideux. Ici, c’est harmonieux. C’est ça Chicago, le mélange entre le nouveau et le vieux. Qu’importe l’âge. Seul le génie compte.
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