samedi 21 mars 2009

Vivre l'Histoire

Huit ans qu’ils attendaient ça. Le retour d’un Démocrate à la Maison Blanche. Deux cent ans qu’ils attendaient ça. L’accession d’un noir à la fonction suprême. D’un homme de couleur du moins. L’investiture de Barack Hussein Obama ne peut laisser indifférent. Elle est de toute façon historique. La preuve que tout est possible. Sera-il meilleur que les autres ? Changera-t-il les pratiques politiciennes de Washington ? Rendra-t-il ses couleurs flamboyantes à l’Amérique ? Ecoutera-t-il les voix des autres pays ? Résoudra-t-il la crise économique ? Là n’est pas la question. Ce jour, c’est le sien. Celui de son investiture. La politique, c’est pour demain.


Réveil matinal chez Liviane, mais bien moins que pour d’autres. Il est 7h30 et déjà Washington bouillonne. Le bus nous lâche dans China Town. La foule est au bord de l’excitation. Pour la première fois de ma vie, je me sens vraiment en minorité. Ceux qui se sont levés tôt, ce sont ceux de l’Amérique d’en bas. Ceux dont la voix n’avait jamais été représentée à un poste aussi important. Déjà, la veille dans le Greyhound qui me ramenait vers Washington, l’on sentait l’attente incroyable des Noirs américains. Ma voisine, persuadée que Obama l’emporterait, économisait depuis des mois pour se payer le voyage. Elle n’avait jamais quitté sa petite bourgade près de Chicago. A l’arrivée dans la capitale fédérale, le chauffeur avait pris le micro et demandé qui venait pour l’Inauguration. Le bus entier avait levé la main en poussant des cris des joies. Yes We Can.



China Town n’a plus rien de chinois. Le Black Power a pris possession des lieux. Des stands de t-shirt, chaufferettes, casquettes, badges, drapeaux et autres souvenirs toujours plus farfelus se succèdent. Et partout des sourires, des rires. Ils se tapent dans les mains, ils s’embrassent. Le sentiment que jamais ils n’ont été aussi fiers d’être américains. Et la foule, toujours la foule. Elle grossit, ondule, se déplace. Les espaces se resserrent. Tous marchent dans la même direction : le National Mall et le Congrès. Le secteur est encadré par d’immenses grilles. Pour ceux qui ont des billets, ils peuvent s’installer dans les files d’attente aux points de passage. Pour ceux qui n’ont pas le précieux sésame, il faut descendre plusieurs kilomètres, pratiquement jusqu’au Lincoln Memorial pour faire le tour. Pas d’énervement. Tout le monde passera à temps. La police est quasi au chômage. Les lignes jaunes sont respectées. Les queues bien démarquées. En France, ce serait un joyeux bordel.


Avec Liviane, on voulait trouver un bar, une église, une communauté pour regarder autrement la cérémonie. Voir comment les gens la voient. Mais aujourd'hui, tous veulent la vivre depuis l’herbe du Mall. Même s’ils ne verront pas Obama plus grand qu’un grain de riz, voire pas du tout, ils veulent y être. LA, sur ce Mall où reposent les statues des Pères Fondateurs. On abandonne l’idée du autrement. Tout est fermé. Et l’on fait comme eux. Le Mall en point de mire. On marche. Beaucoup. Le temps défile de plus en plus rapidement. Stress de manquer le début. Enfin, on arrive tout au bout du Mall, juste avant la piscine devant Lincoln et nos pas foulent l’herbe sacrée. Nous suivons la foule et devant nous se dressent deux immenses écrans. A quelques trois cent mètres du Washington Monument. L’on n’aperçoit même pas la pointe du dôme du Congrès. Il se cache derrière la butte de leur « Concorde ». Les gens arrivent, s’amassent. Devant nous. Derrière nous. Plus tard, on apprendra qu’on était deux millions.




Sur les écrans, les personnalités invitées défilent et s’installent. La Clinton family. Bill, Hillary, Chelsea. Dick Cheyney, le faucon. Puis "l’ex-dans-quelques-minutes". GWB et sa femme. Certains huent, d’autres méprisent en silence. Je hue. Barack, Michelle, Sasha et Maliya sortent enfin de la pénombre. D’une seule voix le Mall se met à hurler. Obama ! Obama ! Yes We Can ! Yes We Can ! Difficile de prendre du recul. Le même sentiment qui anime cette foule et qui la pousse à supporter cet homme m’envahie. Moi qui me voulait simple observatrice, voir ce que les gens voient, je tombe de plein pied dans le parti pris. Ce sont bien mes yeux qui regardent, pas les leurs. C’est bien ma voix qui s’échappe de ma gorge, pas la leur. Au diable la distanciation ! Au placard la journaliste ! Je suis aussi une citoyenne du monde ! Et là, je vis l’Histoire ! Et je suis contaminée. La chair de poule. Je revois dans ma tête les images de Laurence Haïm* rougissante car saluée par un futur président hyper enjoué un matin de campagne. Elle aussi, comme tous les journalistes qui ont suivi Obama depuis un an, a eu du mal à garder cette distance imposée par notre métier.


Tout le monde est à sa place, the Inauguration peut démarrer. La première à s’exprimer est la maîtresse de cérémonie : Dianne Feinstein, Sénatrice responsable du comité d’organisation. Son discours donne le ton. En préambule, elle s’en prend ouvertement à l’administration Bush. La foule est aux anges. Gros plan sur George. Il doit se sentir riquiqui dans ses chaussures. Puis, un pasteur prend place au micro. Le Révérent Joseph Lowery. L’homme de dieu prononce un sermon œcuménique qui met la foule en transe. Croyants, comme non croyants. Une investiture sous la protection du Très Haut. Le fameux mixe entre politique et religion, spiritualité devrais-je dire. Une Diva, LA DIVA, s’approche du pupitre à petits pas. Aretha Franklin. Je n’arrive pas à y croire. Jamais je n’aurai imaginé pouvoir assister à une de ses performances en live. Ma première pensée va à ma sœur Armelle, sa plus grande fan. La voix puissante et suave de la plus grande chanteuse américaine se répand avec douceur sur le Mall. My Country Tis of Thee. Moment hyper émouvant. Radieuse, Aretha quitte la scène avec humilité. Joe Biden à son tour monte à la tribune. Il sera le premier à prêter serment sur la bible. A ses côtés, son épouse. Avant le moment le plus attendu, un quator international fait patienter le public : Gabriela Monterro, pianiste, Itzhak Perlman, violoniste, Anthony McGill, clarinettiste et le très attendu Yo Yo Ma, violoncelliste. Air and simple gifts arrangé pour l’occasion par John Williams, compositeur de la bande original de Star Wars.

Enfin, c’est au tour de Barack Obama de quitter son costume de Sénateur et Président-élu, pour prendre pleinement possession de la Maison Blanche. Le Ministre de la Justice, John Roberts, tient la bible et prononce les fameux mots. I Barack Hussein Obama…. La foule retient son souffle. Mes doigts tremblent sur ma petite caméra. Ce n’est pas le froid. Ce ne sont pas les -15°C qui frappent le Mall. Je suis simplement saisie par l’importance du moment. La séquence qui ne dure que trente petites secondes s’installe pour l’éternité.




Lui qui s’est toujours montré sur de lui aurait-il hésité ? On n’apprendra par la suite que c’était le Ministre de la Justice qui était ému ce jour-là et qui aurait inversé deux mots pouvant invalider le serment du Président. La foule ne lui en tient pas rigueur. Enfin, enfin les années Bush sont derrière eux. Enfin, enfin les années Bush sont derrière nous. Les gens se prennent dans les bras. Ils s’embrassent. Ils pleurent. Ils crient de joie. On crie avec eux. Méga chair de poule ! Nos voisins nous félicitent d’avoir fait le chemin jusqu’ici. Non merci à eux de l’avoir choisi lui.

Et Obama se présente à son peuple pour son premier discours de président assermenté. Dix-huit minutes intenses qui ne s’adressent pas qu’à la nation américaine mais au monde entier. Charismatique. Comme à son habitude.

Difficile de réaliser ce qu’il vient de se passer. Il nous faut nous dégourdir nos jambes endormies. Le froid nous a littéralement attaqué. Mes orteils sont aux abonnés absents. On sautille vers le Washington Monument, comme eux tous. Une belle mama africaine est en tenue traditionnelle. Elle irradie dans sa parure turquoise. L’on remarque des pancartes étranges. Des fanatiques de Jésus se sont donnés rendez-vous pour rappeler aux pécheurs leurs devoirs envers le Christ. Malades. On ne voit ça qu’ici. Des prisonniers factices rappellent à Obama ses déclarations sur Guantanamo. Immanquables dans leurs tenues orange. Leur visage est couvert par un tissu noir. Des caméras. Des journalistes pour qui la journée est loin d’être terminée. On est au pied de la colonne. De là, le Congrès paraît tout petit. On prend la pause et on observe. Au loin des gens dansent. Les tribunes qui entouraient le pupitre se vident. C’est l’heure de la parade. Le Président et sa famille vont fouler les rues de Washington, à pied, devant leur peuple. Sans gilet pare-balles. Puis ce sera l’heure des bals. Et demain, il s’y mettra. Enfin.


* Correspondante permanente de Canal + à Washington. Elle a suivi la campagne et les élections présidentielles pour tout le groupe Canal. Après la cérémonie d’investiture, Laurence Haïm et d’autres journalistes français seront interviewés par les caméras de + Clair. Ils exprimeront avec émotion la fin d’une ère, la couverture de la campagne. Laurence Haïm versera même quelques larmes et parlera d’une histoire qui se termine.

2 commentaires:

Loulou a dit…

Bonjour, je viens de découvrir ce blog et j'ai hâte de lire la suite du voyage.
En tout cas, merci pour toutes ces descriptions et ces photos, ça donne envie. J'imagine que c'était le but, alors mission accomplie.
Je me fidélise donc en m'inscrivant.
Bonne route !

Delphine a dit…

@ Loulou, Merci pour ton message. Ca faisait un bon bout de temps que je n'avais pas mis à jour mon blog. Bien compliqué d'écrire quand on est en balade... Quelques postes ajoutés ce matin et d'autres à venir!